Printemps des Poètes

Derrière la frontière 
par Anne-Marie Desbets

Des hommes forteresses se sont barricadées
A coup de barres, de serrures, de clés
De grands murs érigés pour mieux se protéger
Il y a des hommes, tu aimerais en parler
Ils sont trop loin, comment s'en approcher ?

Derrière la frontière
Des barreaux aux fenêtres, le ciel n'y vient jamais
Au centre du milieu du coeur des forteresses
Derrière les hauts murs, les barreaux, les volets
Les oreilles bouchées, ils ont les yeux fermés

Il y a des hommes, ils appellent ça vivre
Pendant que derrière ces murs si épais
Vieillards, femmes et enfants
Rampent en suppliant :
Donnez-nous à manger !

Derrière les barreaux, le ciel ne vient jamais
Sont déjà morts des hommes et toute humanité

 

Frontières
par Cahine Pomme

Désinvolte mésange, chatte éberluée,
Délicate légende, avide feu follet,
Ils n'en ont que faire.

Contours ourlés, confins feintés
Limites arbitraires, carte sur table déployée
Après maints bras de fer.

Rideau de jungle du douanier désengagé,
Jeune et nu freluquet
Aux portes de l'Enfer

Passeurs sans vergogne, passereaux esseulés,
Douce et blanche cigogne, liberté monnayée,
Volubiles Cerbères.

Pic, roc, cap, péninsule - quand Dame Nature dit stop,
Pique, moque, frappe, ridicule - quand s'en mêlent les hommes.

Omerta, non-dits, pressions des pairs,
Chère Gaïa, j'en fais fi, je suis libre comme l'air

 

Par Michel Hoffmann

Avec mes camarades l’excursion type consistait à passer la journée à Gérardmer « all inclusive » ! Les quelques moraines qui se dédoublaient dans l’eau et les sapins plus nombreux, renvoyaient au touriste que j’étais l’image d’une forêt lacustre. Mais un jour les abords du lac de Gérardmer n’eurent plus de secrets à nous proposer. 

Aux yeux de l’enfant que j’étais, rejoindre le « Titisee » ou le lac des « Quatre Cantons » prenait plus les proportions d’un grand voyage avec toutes ses incertitudes mais aussi, toutes ses promesses. Le bagage était bouclé depuis deux jours et la veille du départ je rassemblai minutieusement ma documentation et les quelques richesses prélevées dans ma tirelire. J’entamai le voyage durant la nuit, j’imaginai ce que je ne connaissais pas. J’en fus certain, la réalité serait plus belle que la fiction. Je refis le point sur le contenu de mes affaires et surtout sur la présence de ma carte d’identité, sésame indispensable pour passer la frontière. 

A l’euphorie du départ succédait une excitation progressive à l’approche de la barrière frontalière car un seul de mes camarades pouvait être à l’origine d’un refus de l’autorité douanière ! Sitôt l’aval de l’homme en uniforme obtenu et la barrière levée, l’inquiétude laissa place à l’apaisement et au déclenchement d’une joie collective. J’ai passé mon enfance dans le pays bien nommé des « trois frontières » et pourtant l’exotisme commença à opérer au moment d’entrer en territoire Allemand ou Suisse. 

Tout me semblait tellement différent au-delà de la frontière ne sachant pas alors que l’imagination trouve plus de réalité à ce qui se cache qu’à ce qui se montre. 

Devenu adulte, je dus reconnaître que l’habitat n’était guère différent d’un côté du Rhin ou de l’autre, que la forêt Vosgienne était le pendant géologique du Schwarzwald et que le miroitement du Titisee renvoyait fidèlement l’image de la nature qui le borde.
Aujourd’hui, si l’exotisme garde tout son sens et la découverte tout son attrait, la frontière se dresse rarement comme obstacle à leur révélation. Une société idéale n’aurait certes pas tracé de frontières du tout ! 

Fixées par traité entre les états, les frontières renseignent davantage sur l’état politique du monde présent. On peut imaginer que l’homme a décrété que les premières frontières naturelles seraient les crêtes montagneuses et les cours d’eau. C’est sans doute pourquoi les stratèges de toutes les guerres ont demandé à leurs troupes d’avancer jusqu’au fleuve (Le Dniepr par exemple) ou de conquérir la butte voisine ou le sommet décisif (la côte 304 guerre 14/18). On pourrait en déduire que l’homme a gardé son caractère primitif puisqu’en cohérence avec la nature ! 

Mais l’homme démontre jour après jour qu’il est un être complexe. Comment expliquer ces frontières artificielles (dissolution de l’empire Austro-Hongrois, organisation de l’unité Africaine) tracées à la règle sur un coin de table des négociations ? 

Si l’espace Schengen se veut un espace sans obstacle pour la libre circulation des biens et des personnes, il ne constitue en aucun cas les prémices d’un monde utopique sans frontières. 

L’histoire, la sociologie, l’anthropologie, le droit international et l’ensemble du spectre de la connaissance sont également confrontés aux frontières qu’engendre tout débat.
Les contraintes mêmes du présent exercice m’obligent à dresser des limites à mon texte.